Les robots humanoïdes dans l’industrie : entre promesse technologique et réalité manufacturière 

13 juin 2025

Clara Desbiolles

Clara Desbiolles

Commissaire à l’innovation
CEI MTL – Innovation

Le 19 avril 2025, Pékin a accueilli le premier semi-marathon de l’histoire où vingt-et-un robots humanoïdes ont couru aux côtés de douze mille participants humains. Le vainqueur de la catégorie robotique, baptisé Tiangong Ultra, a franchi la ligne d’arrivée en deux heures et quarante minutes, soit environ une heure quarante de plus que le champion humain.

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En dépit de quelques chutes et collisions inévitables, l’événement démontre les avancées spectaculaires accomplies récemment par la robotique humanoïde. Il témoigne aussi de la volonté affichée de la Chine, déjà à la pointe dans ce secteur, d’en faire l’un des moteurs clés de sa compétitivité industrielle. Si la présence de ces robots humanoïdes sur un terrain sportif reste surtout symbolique, l’impact qu’ils peuvent avoir dans les ateliers et les usines, lui, s’annonce bien concret. 

Des cas d’usage industriels qui se précisent 

La plupart des robots humanoïdes partagent une morphologie similaire à celle d’un humain : deux bras dotés de mains articulées capables de préhensions fines, deux jambes motorisées aptes à franchir des marches ou des obstacles, et une tête qui concentre caméras, lidars, micros et parfois un visage animé pour faciliter l’interaction. Leur architecture mêle actionneurs électriques à haute densité de puissance, batteries à forte capacité, systèmes de perception 3D temps réel et algorithmes d’intelligence artificielle embarqués. 

Les robots humanoïdes offrent plusieurs pistes d’expérimentation en industrie : d’abord la manutention interne (transport de bacs, chargement de convoyeurs, préparation de lots), puis l’approvisionnement des postes (apport de pièces, ouverture de tiroirs), l’assemblage léger (positionnement et vissage délicats), l’inspection itinérante (contrôle visuel, dimensionnel), la maintenance de premier niveau (ouverture de panneaux, resserrage, nettoyage de capteurs) et enfin les interventions en milieux dangereux (substances corrosives, pièces chaudes, zones post-accidentelles). Ces usages, encore confinés à des pilotes, esquissent néanmoins la complémentarité future entre opérateurs et robots humanoïdes. 

Premiers retours terrain chez Mercedes et GXO Logistics 

Mercedes-Benz a lancé des pilotes d’intégration sur sa ligne d’assemblage final. Jörg Burzer, directeur de la production, pense qu’à l’horizon 2030, nous verrons au moins quelques robots humanoïdes sur les chaînes de production du groupe. Ces tests s’appuient notamment sur Apollo, le robot d’Apptronik, capable de porter des charges jusqu’à cinquante-cinq livres.  

GXO Logistics, de son côté, évalue simultanément Digit d’Agility Robotics et Reflex Robotics dans des entrepôts nord-américains afin de fluidifier la préparation de commandes. L’entreprise cible une adoption progressive d’ici dix ans, les gains attendus portant sur la flexibilité de réponse face à la volatilité de la demande. 

Avantages, limites et défis d’intégration 

L’argument central en faveur des humanoïdes est leur adaptabilité. Une même machine peut changer de poste selon les besoins, passer de la logistique à l’inspection et naviguer sur plusieurs niveaux d’un bâtiment sans avoir à en modifier l’infrastructure. Cette flexibilité pourra permettre de libérer le personnel pour des activités à plus forte valeur ajoutée, tout en réduisant leurs troubles musculo-squelettiques et les risques d’erreurs humaines. De plus, on peut penser que les robots humanoïdes offriront une solution prometteuse face aux pénuries de main-d’œuvre qualifiée, en mettant la technologie au service de la productivité. 

Le revers de la médaille demeure le coût d’acquisition et de maintenance, encore supérieur à celui des robots articulés spécialisés. Sur le plan social, l’acceptation de collègues mécaniques à l’apparence humaine réclame formation et pédagogie pour lever les craintes liées au remplacement de l’emploi. 

Apprentissage automatique : le véritable moteur du progrès 

Pour dépasser ces limites actuelles, des acteurs tels que Nvidia, Toyota Research Institute ou Google DeepMind misent sur l’amélioration des modèles d’IA, capables d’absorber des volumes massifs de données. Démonstrations en téléopération ou simulations numériques alimentent des réseaux neuraux géants qui enseignent au robot à reconnaître les objets, à comprendre les instructions naturelles et à adapter ses gestes sans reprogrammation explicite. Le but est double : réduire le temps de mise en service et maintenir un geste plus fluide et plus proche de celui d’un humain. 

Dans l’actualité : Gemini Robotics et UBTech ouvrent de nouvelles perspectives 

En mars 2025, Google DeepMind a dévoilé Gemini Robotics, un système qui marie la puissance d’un modèle de langage à une couche de contrôle moteur. Contrairement aux robots traditionnels cantonnés à des tâches pré-programmées, Gemini permet aux humanoïdes de comprendre des consignes vocales complexes, de raisonner sur des objectifs contradictoires et d’exécuter plusieurs actions successives sans supervision continue. 

En Chine, UBTech a dévoilé BrainNet : une architecture réseau où un « super-cerveau » dans le cloud, entraîné avec le grand modèle DeepSeek-R1, coopère avec un « sous-cerveau » embarqué dans chaque robot. Ce lien bidirectionnel fusionne perception, contrôle et apprentissage distribué, permettant aux humanoïdes de se coordonner de façon autonome et évolutive — une étape décisive vers leur déploiement industriel à grande échelle. 

Vers une complémentarité homme-robot 

Le robot humanoïde a quitté les laboratoires pour franchir les portiques des usines. Les déploiements restent ciblés mais progressent, notamment là où la reconfiguration d’une ligne classique serait trop coûteuse. Loin de remplacer les équipes, ces machines promettent de devenir des partenaires qui prennent en charge les tâches monotones, dangereuses ou exigeant des déplacements fréquents, laissant aux travailleurs la supervision, la résolution de problèmes et l’amélioration continue. La révolution humanoïde n’est plus une anticipation futuriste : elle s’ébauche déjà, pas après pas, dans les allées de nos ateliers.