Délocalisations vers le Mexique - une nouvelle géographie d’affaires pour le Québec

07 novembre 2025

Victoria Kolodziejczyk

Victoria Kolodziejczyk

Chargée de projets à l’exportation

Le Mexique n’est plus seulement l’atelier du monde américain : il devient le cœur logistique d’un nouvel équilibre industriel continental. La reconfiguration des chaînes de valeur mondiales s’accélère. Les ruptures logistiques de la pandémie, les tensions géopolitiques persistantes et les politiques industrielles américaines en mutation créent un contexte où la stratégie d’approvisionnement international ne peut plus reposer sur les mêmes certitudes qu’hier. Au cœur de ces transformations, le Mexique émerge comme un acteur stratégique majeur pour les entreprises nord-américaines. Longtemps perçu comme un simple sous-traitant de proximité, il devient maintenant une plateforme commerciale essentielle pour accéder à trois vastes marchés complémentaires:

  • Les États-Unis, premier marché mondial
  • Le Mexique, un marché intérieur en hausse de plus de 130 millions de consommateurs
  • L’Amérique latine, une région où les opportunités d’exportation croissent rapidement

Pour les PME québécoises, cela signifie une réalité simple: s’intégrer tôt dans cette dynamique continentale en cours, c’est protéger et faire croître sa compétitivité et sa résilience.

POURQUOI LE MEXIQUE: UN CONTEXTE DEVENU INCONTOURNABLE

Diversifier ses débouchés et réduire la vulnérabilité

La dépendance du Canada envers les États-Unis comme marché d’exportation demeure très élevée. Cette concentration expose les entreprises à des risques politiques et tarifaires récurrents. Développer une présence au Mexique permet d’élargir ses horizons tout en restant dans l’écosystème économique nord-américain.

« Selon CIBC, près de 75 % des exportations canadiennes sont destinées aux États-Unis, ce qui fait du pays l’un des plus concentrés au monde en termes de débouchés. » – source CIBC Economics. (2025, 25 février). Seeking diversification: Can Canada reduce its dependency on the US? Canadian Imperial Bank of Commerce.

China +1: une stratégie désormais dominante

Pour éviter les risques associés aux chaînes d’approvisionnement asiatiques, de plus en plus de fabricants américains et canadiens optent pour un modèle China +1, où le « +1 » est fréquemment le Mexique. Ses avantages sont multiples: proximité, rapidité logistique, continuité terrestre.

China's manufacturing exodus


« Manufacturing in Mexico isn’t just a better long-term alternative to China — it’s a far better outcome for the United States on logistics, cost structure and supply-chain resilience. » – source Harris Sliwoski LLP. (2025).
China’s Manufacturing Exodus: How Mexico and the U.S. Are Gaining Ground. China Law Blog.

ACEUM: un levier renforcé par le contexte

L’accord États-Unis–Mexique–Canada (ACEUM) offre des avantages tarifaires et des règles d’origine qui encouragent l’intégration continentale. Dans un contexte de relocalisation manufacturière, cela donne un avantage concurrentiel immédiat aux fournisseurs basés au Québec capables d’alimenter des chaînes d’appro du Mexique destinées au marché américain.

Avantages de l’ACEUM pour les PME québécoises :

  • Accès prioritaire aux marchés mexicains grâce à des règles d’origine simplifiées
  • Meilleure stabilité des chaînes d’approvisionnement continentales => réduction des risques politiques et tarifaires
  • Proximité géographique stratégique : fournisseurs québécois peuvent alimenter les usines mexicaines destinées aux États-Unis
  • Possibilité de diversifier ensuite davantage vers toute l’Amérique latine en s’appuyant sur un cadre nord-américain déjà établi
  • Soutien accru aux PME : chapitres dédiés de l’accord (petites entreprises, commerce électronique, marchés publics) renforcent leur compétitivité

TROIS VOIES DE COMMERCE POUR LES ENTREPRISES QUÉBÉCOISES

Le Mexique ne doit plus être vu simplement comme un lieu de production à bas coût. Il constitue trois vecteurs d’affaires distincts, selon les ambitions et capacités de nos PME.

1- L’accès direct au marché mexicain est une voie majeure : des industries en pleine croissance — automobile, technologies médicales, agroalimentaire, biens industriels — génèrent une forte demande pour des équipements, des composants, des logiciels et des services spécialisés. Une présence adaptée à ce type de besoins permet de capitaliser sur cette demande locale sans attendre un long horizon.

2- La deuxième voie est celle du tremplin vers le marché américain. De nombreuses usines et centres de distribution installés au Mexique servent directement les consommateurs ou les industriels aux États-Unis. Pour une PME du Québec, fournir ces sites équivaut à s’insérer dans la chaîne de valeur américaine tout en bénéficiant de la proximité et des conditions nord-américaines. Cette approche permet de valoriser un savoir-faire local dans un cadre continental, plutôt que de partir de zéro vers l’Asie.

3- Le Mexique offre une troisième voie : celle de la diversification régionale. Le pays a conclu de nombreux accords de libre-échange avec plus de 50 nations, ce qui en fait une véritable plate-forme d’accès à l’Amérique latine. Pour une PME québécoise, s’établir ou s’associer au Mexique ouvre ensuite la porte à des marchés en Amérique centrale, aux Caraïbes et en Amérique du Sud — un horizon de croissance plus large et une réduction de la dépendance à un seul débouché.

Le Mexique et le Québec partagent une complémentarité naturelle : l’expertise technologique et la qualité manufacturière québécoises répondent parfaitement aux besoins mexicains en innovation, en automatisation et en services de conception industrielle. Cette synergie favorise des partenariats gagnant-gagnant, notamment dans les chaînes de valeur intégrées Amérique du Nord.

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ARGUMENTS ÉCONOMIQUES SOLIDES

Proximité et compétitivité

Du point de vue des coûts et de la réactivité, la proximité géographique constitue un atout majeur : le transport terrestre entre le Québec, les États-Unis et le Mexique réduit les délais de transit et permet aux entreprises d’améliorer la fiabilité des approvisionnements tout en maîtrisant leurs marges. Ce positionnement logistique est appuyé par une capacité industrielle solide. Le PIB manufacturier mexicain a atteint l’équivalent de 5 282 820 millions de pesos au deuxième trimestre de 2025, et près de 20 % de la valeur ajoutée hors services du pays provient de la fabrication (source – Trading Economics. (n.d.). Mexico – GDP from Manufacturing. October 10, 2025). Ces données montrent qu’il s’agit d’une économie apte à accueillir des entreprises québécoises manufacturières compétitives.

Dynamisme industriel

Cette dynamique industrielle se reflète également dans les investissements étrangers directs. Le Mexique a accueilli 35,7 milliards USD d’IDE industriels cumulés jusqu’au troisième trimestre de 2024, d’après BBVA Research (source –  López, D., & Vázquez, S. (2025, 7 février). Mexico | FDI increased in the manufacturing sector in 3Q24. BBVA Research), dont 54 % dirigés vers le secteur manufacturier (source – González B., A. (2024, 28 août). Foreign direct investment hits record $31 B in Mexico in first half of 2024. FreightWaves). Ce mouvement traduit un réaménagement concret des chaînes de valeur industrielles qui se rapprochent du marché nord-américain.

Résilience

La résilience du pays face à la volatilité économique mondiale renforce l’attractivité du marché. En 2024, le Mexique a établi un nouveau record avec 36,87 milliards USD d’IDE entrants et s’est classé au 11ᵉ rang mondial pour les flux d’investissements (source – Mexico News Daily. (2025, 26 février). Preliminary 2024 numbers put Mexico FDI at nearly US $37 B). Cette stabilité confirme une tendance structurelle, donnant aux entreprises québécoises qui s’y positionnent un cadre de développement plus prévisible et durable que celui offert par certains marchés éloignés.

UN MARCHÉ INTÉRIEUR EN EXPANSION

Le Mexique ne se limite plus à être un relais industriel : il est désormais un marché intérieur d’envergure. Sa classe moyenne, bien que difficile à cerner strictement, est en progression et devient un segment de consommateurs de plus en plus exigeants (source – Foreign Policy Association. (n.d.). Mexico’s Growing Middle Class. Retrieved October 10, 2025). Cette montée en puissance ouvre des débouchés pour des biens d’équipement, des technologies et des services importés, notamment en provenance du Québec.

L’urbanisation galopante dans plusieurs grandes agglomérations mexicaines — notamment les corridors entre Monterrey, Guadalajara et la Vallée de Mexico — accélère la demande en infrastructures, en logistique, en habitation et en services urbains. Pour une PME québécoise spécialisée dans la transformation, l’efficacité énergétique ou les solutions urbaines, cela signifie que le Mexique ne représente plus uniquement une plateforme de production, mais aussi un bassin de consommateurs en expansion.

Par ailleurs, les transferts financiers que la diaspora mexicaine envoie à son pays d’origine atteignent des valeurs historiques : en 2024, le Mexique a reçu environ 64,7 milliards USD en remises, établissant un nouveau record (source –  BBVA Research. (2025, 4 février). Mexico | Record in remittances: 64,745 million dollars in 2024, and dark spots for 2025). Ces climats favorables à l’importation de biens, dont ceux que les PME flux assurent un pouvoir d’achat accru dans de nombreuses régions, renforcent la stabilité de la demande et créent un québécoises peuvent fournir.